Anatole Le Braz

Salut à tous,

Etant Trégorrois moi-même, et qui plus est élevé dans une famille de paysans imprégnés de traditions et de religion, j'ai toujours été très sensible à ce genre de question.

Qui plus est, étant natif de La Roche-Derrien, je suis donc riverain du Jaudy par mes entrailles et par mes oreilles (la chambre dans laquelle je suis né se situait à 6 mètres au plus de la rivière). Le flux de la rivière est le premier bruit qui m'a bercé, après le coeur de ma mère.

La marée basse a une ambiance qui lui est propre. La marée haute a une ambiance différente, qui lui est propre.

Quand la mer monte, je n'ai pas honte, mais je sens une certaine forme de puissance indicible.

Quand la mer descend, je ressens comme un éloignement.

Quand la rivière est vidée de son eau de mer, je ressens une continuité (écoutez le flux d'une rivière, et vous comprendrez), en attendant un retour (celui de la mer).

Je pense qu' Anatole Le Braz, à travers cet homme à l'agonie, a décrit, peut-être sans le savoir, le magnétisme de la marée montante et de la marée descendante.

On peut le voir de façon rationnelle, comme une montée en puissance de la force qui fait monter les eaux des océans, puis par une descente suivie d'une disparition.

On peut aussi le voir de façon mystique, comme la lumière d'une chandelle qui s'éteint d'elle-même.

Mais dans cette tradition paysanne, païenne imprégnée de christianisme, le rationnel et le mystique se mélangent pour donner à l'un l'explication de l'autre et en retour, les deux étant intimement liés comme le sont la Terre et la Mer dans tout estuaire et toute ria, et donc aussi celui et celle du Jaudy.

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C'est beau comme du Verlaine, n'est-il pas ?

Le pire, c'est que je suis sincère !

JCE

Un grand merci à toi Jean-Claude pour ces interprétations qui finalement, me font voir autrement le texte d'Anatole Le Braz. J'aime beaucoup cette idée de description du "magnétisme de la marée montante et de la marée descendante" à travers cet homme à l'agonie. Et du coup, cela me donne moins froid dans le dos. Comme quoi, une interprétation peut changer beaucoup de choses.
Je comprend aussi ton attachement à tes racines, à La Roche Derrien, au Jaudy. Un endroit magnifique et surtout magique. J'ai beaucoup aimé ta façon de percevoir les marées et j'aime beaucoup ces idées de "puissance indicible, d'éloignement et de continuité".
Pourtant, je ne suis pas bretonne, ni originaire d'un endroit marin, mais je comprends tes ressentis pour ces marées qui me laissent toujours pensive, preplexe mais aussi interrogative quand je peux les voir.
Encore merci pour ton partage.

Une petite ballade à Pont-Rod, au passage de l'ancienne voie romaine de Guingamp à Plougrescant, au moment du début de la marée basse :

http://marikavel.org/bretagne/pommerit-jaudy/pontrod-paysages.htm

Un dauphin y termine ses jours.

Pont-Rod est un lieu très voisin de la grève de Sainte-Anne, en amont de celle-ci.

JCE

Beaucoup plus angoissant :

L'intersigne du cadavre, à Lechiagat, en pays bigouden :

http://marikavel.org/personnes/lebraz/ldlm-lechiagat.htm

JCE

Merci Jean claude pour cette façon de voir qui ouvre les portes de notre imagination , tes images sont tres belles !!

Mais venant de toi je n'en suis pas du tout étonnée, c'est toujours un plaisir de te lire ici et sur ton forum aussi

Merci JC !!

Salut Liloye,

Je sais très bien que toi aussi tu es une sentimentale.

Alors, il faut expliquer à nos amis que pour Nous, Bretons, la Légende de la Mort n'est pas un thème morbide, c'est simplement un thème d'amour pour nos Anciens.

Nous n'avons pas de crainte ni de retenue à raconter leurs tourments, parce que leurs vies, leurs tourments, leurs morts, sont aussi en nous, puisqu'ils font partie de nous, dans leurs joies et dans leurs drames.





Plaque au cimetière de Locquémeau, en Trédrez.

Disparu à l'âge de 26 ans.

De Lui, il ne reste que cette plaque.

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JCE

Budoc a écrit:

J'ai en fait l'impression que dans l'esprit Breton, la mort est omniprésente, faisant partie de la vie ...
Depuis longtemps, les Bretons ont payé de leur vie les combats pour leur territoire, leur survie, leur reconnaissance ... et la mort est devenue non plus un tabou mais une chose normale qui cloture une vie. Les intersignes, sur terre comme en mer, l'Ankou, le Bag-Noz ... Je dirais aussi que ce "culte" de la mort remonte à l'antiquité, c'est une ancienne pratique celte dont l'église n'est pas parvenue à se débarrasser.

Un vieux marin de Kérity me disait toujours ; "Qu'est-ce que la vie ? " et enchainait en disant; "C'est le commencement de la mort !" Dans la bouche d'un marin dont le QI était limité, cette réflexion qualifiable de philosophique me semblait démesurée alors qu'en fait, les rapports qu'ont les Bretons avec la mort sont d'une simplicité élémentaire puisqu'ils vivent en sachant qu'à chaque minute cette vie peut leur être enlevée.

Anatole Le Braz n'a fait (à son époque) que stigmatiser la mort et ne faisait que répondre à un souci du peuple encore tiraillé entre la position de l'Eglise et celle encrée de longue date par la tradition celtique.

Celà rejoint ce que j'avançais en page 1,
Il n'y a rien de "morbide", comme dit Jean-Claude, les morts sont aussi en nous.
Pol Cojean ne se doutait pas qu'un jour de 2008, des gens parleraient de lui ...

Oui tres sentimentale JC

Citation :

encrée

tu devrais jeter l'ancre cher Budoc

alors je dois avoir une âme bretonne aussi, car c'est sûr la vie peut s'arreter d'une seconde à l'autre j'en ai conscience aussi (quand je pense à ces 8 collegiens morts dans cet accident de car c'est horrible!! toutes mes pensées vont aux parents aneantis par la douleur )

la mer choisit ses amants tres jeunes !!

mourir si tôt c'est quand même injuste pour moi !!

douce pensée à Paul aussi

Citation :

la mer choisit ses amants tres jeunes !!

Connaissez vous la mer Chère Liloye ?
La mer prend ce qu'elle veut, jeunes comme vieux ou expérimentés (comme Eric Tabarly ?)
Ne mélangez pas, le drame d'un accident n'a rien à voir avec ce que la mer impose à ceux qui la côtoient. Elle est toujours belle, vue de loin !!!

Sur ce sujet, je recommande de relire "Pêcheurs d'Islande", de Louis Marie Julien Viaud (Pierre Loti)...

http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Loti

Il est certainement le non - Breton qui a le mieux décrit l'âme bretonne.

Et lisez particulièrement le passage où il décrit les futures noces de Yann avec la mer... Ce n'est pas morbide, c'est le choix de la liberté... et ce n'est pas non plus un suicide, ça n'a rien à voir.

On devrait plutôt parler d'un rapport différent avec la Vie et la Mort...

Anatole LE BRAZ exprimait des préoccupations de son époque, la fin du XIXè siècle.

C'est loin des préoccupations de beaucoup d'entre nous aujourd'hui.

Mais c'est tellement près que nous pouvons nous y voir nous-mêmes.

Paul COJEAN, dont j'ignore tout de la vie, a eu beaucoup de chance de n'être pas assez vieux pour se faire flinguer sur on ne sait quel champ de bataille de la guerre de 14-18, ou des milliers de jeunes gens ont perdu la vie. Et Dieu seul, s'il existe, sait pourquoi. Ses parents ont peut-être cru que leur fils allait avoir une vie 'normale' pour des gens des années 1920....

... avoir un travail, une femme, des enfants ...

Si j'en parle, c'est parce que mon propre père, né en 1905, fut mousse, sur un terreneuva, à l'âge de 12 ans.

Paul COJEAN n'avait que 6 ans de plus que lui.

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La Mer n'est belle, l'Océan n'est beau, que vus de loin.

Je partage cet avis. Car j'ai vu le dos de la mer en colère, hérissé comme des poils de chat. Je l'ai entendu hurler et gémir à glacer le sang en pensant à ceux qui s'y trouvent.

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Il y a, à Ploubazlanec, un Mur des Disparus en Mer.

Si vous y allez, pensez que ceux dont les noms y sont inscrits avaient peut-être votre âge.

Ceci n'est ni de la morale, ni de la sensiblerie, mais de l'amour et du respect, puisque leurs visages et leurs noms sont les nôtres.

http://marikavel.org/bretagne/ploubazlanec/accueil.htm




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Ceci ne constitue que l'aspect 'maritime' de la Légende de la Mort'.

JCE

je connais ce mur JC

c'est terriblement emouvant !!

je respecte la Mer comme la Montagne et je ne les frequente que quand je les sens douces et calmes !!

mais c'est vrai que j'aime contempler la Mer et je la contemplerais , le la photographierais aussi parceque rien n'est plus beau !!

Merci Jean-Claude pour tout ce que tu nous dis et nous expliques. C'est très interressant et surtout, il y a beaucoup d'humanité et de respect dans tes mots.

A propos de la marée, dont parle Jean-Claude Even, je dirais bien que nous l'avons tous en nous. En effet, la marée est sous l'influence de la lune, et la lune doit faire sentir aussi en nous son influence... En nous aussi monte et descend la marée. Les gens des bords de mer y sont peut-être plus sensibles que les autres...

Effectivement Danièle, même si nous ne le ressentons qu'inconsciemment (Notre éducation cartésienne, nos tracas, soucis ou autres stress, notre travail ... ne nous laissent plus la possibilité de le ressentir) La lune rythme les marées mais aussi certaines phases de notre vie, les nuits de pleine lune, on a souvent le sommeil plus léger, aux abords de la pleine lune, on constate souvent plus de naissance et plus de décès ... Faites le test, la prochaine sera le 18 Juin !

Seuls les survivants pourront le dire.

Ceux qui auront passés le vendredi 13 ne sont pas forcément à l'abri !

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Quoi qu'il en soit, je pense en effet, tout à fait sérieusement, que le thème de la marée, narré par A. Le Braz, répond à ce phénomène magnétique.

JCE