Le breton, une langue celtique
Le breton est une langue celtique, apparentée au cornique, langue de Cornouaille britannique, et au gallois, parlé au Pays au Galles. Dans l'Antiquité, les populations qui vivent en Armorique sont des peuples celtiques qui s'y sont établis à partir du Vème siècle avant J.C., et parlent le gaulois. Cette langue se maintiendra plus ou moins jusqu’à la fin de l’empire romain. Mais à cette époque l’Armorique apparaît déjà largement romanisée.
A la fin de l'empire romain, les migrations en provenance du sud et de l'ouest de l'île de Bretagne, qu'on n'appelle pas encore Grande-Bretagne, vont receltiser l’Armorique. Les Bretons traversent la Manche en masse et s’établissent définitivement dans la péninsule qui prend alors le nom de Bretagne.
La langue bretonne ancienne, ou brittonique, que l'on parlait dans l'île de Bretagne, s'étend à la péninsule armoricaine et se divise alors en trois branches : le gallois et le cornique à l'ouest et au sud-ouest de l'île et le breton proprement dit sur le continent. La langue de cette époque, le vieux-breton, est connue grâce à de nombreuses gloses, c'est à dire des annotations en breton en marge de manuscrits latins, ou au travers de noms propres qui figurent dans des documents ecclésiastiques tels que le Cartulaire de Redon (recueil d'actes qui vont de la fin du VIIIème siècle au début du XIIème siècle).
Les nouveaux arrivants modifient l’Armorique en profondeur. Ils donnent aux lieux où ils s'établissent des noms d’une grande diversité : plou (paroisse) comme Plouzane, gwik (centre de la paroisse) comme Gwimilio, lann (ermitage, monastère) comme Lannuon, tre (lieu habité et cultivé, quartier, trève) comme Tregastell, lez (cour seigneuriale) comme Lesneven, bod (demeure, résidence) comme Bodsorc’hel…
Le recul après l’âge d’or
L ’État fondé par les immigrants bretons est à son apogée. La capitale du royaume est installée à l’Est dans une zone peu brittophone. Petit à petit, la langue bretonne perd de son importance, socialement et géographiquement. Les élites bretonnes délaissent le breton au profit de la langue romane. Le breton recule également d’Est en Ouest et trois zones linguistiques prennent forme dans la péninsule :
A l’extrême Est, Brittania Romana, où le peuplement breton est nettement minoritaire et où la langue celtique disparaitra rapidement.
A l’Ouest d’une ligne Saint-Brieuc / Saint-Nazaire, Brittania Celtica, où le breton s’impose comme la langue majoritaire de la société.
Au centre, une zone mixte, où le bilinguisme breton-roman est de règle, la langue romane finissant par triompher.
Au vieux-breton (état de la langue entre le VIIème et le XIIème siècles) succède le moyen-breton (entre le XIIème et le XVIIème siècles). Alors qu'à l'époque du vieux-breton la langue est utilisée par l'aristocratie, le moyen-breton, lui, est surtout employé dans des textes à thèmes religieux, essentiellement des pièces de théâtre. La langue est alors devenue différente du gallois et se sépare peu à peu du cornique.
La limite linguistique se stabilise sur une ligne Nord-Sud allant grosso-modo de Saint-Brieuc à Saint-Nazaire. Cette limite restera presque inchangée jusqu’au XXème siècle. Dans la partie Est du pays, la Haute-Bretagne, la langue d’oïl s’est imposée à travers le gallo. L’Ouest est le domaine presque exclusif de la langue celtique, le breton.
Cette limite linguistique tend à perdre de sa signification : l’usage du français standard s’est généralisé tandis que la langue bretonne est devenue un élément d’identité valorisant pour tous les Bretons.
Du Moyen-Age jusqu'à nos jours
L'union de la Bretagne à la France en 1532 n'apporte pas de changement à la situation de la langue. Si elle n'est plus parlée par les élites politiques, la langue bretonne est néammoins la seule langue pratiquée par la grande majorité de la population de la moitié ouest de la Bretagne, et cela jusqu'au début du XXème siècle.
Mais la politique poursuivie par les autorités centrales est la promotion d'une seule langue nationale, la langue française. Ceci est manifeste dès l'édit royal de Villers-Cotterêt en 1539 ou à l'époque de la Révolution : dans des discours enflammés, le révolutionnaire Barrère ou l'Abbé Grégoire proclament à la Convention que le "bas-breton" est la langue de la "superstition" ou de la "contre-Révolution". La population associe, elle aussi, dès lors, la langue bretonne à l'ignorance et à la pauvreté. Au XIXème siècle, quand se met en place un système d'éducation généralisé, le breton est exclu de l'école, tout comme il est de plus en plus exclu des autres domaines de la vie publique. Le français bénéficie de la protection des lois, contrairement au breton qui n'existe pas légalement.
La perte de prestige de la langue, née d'une convergence de facteurs politiques, psychologiques, sociolinguistiques et économiques, explique le quasi-arrêt de la transmission familiale du breton dans les années 1950. Plusieurs enquêtes récentes provenant de l'INSEE, d'universitaires et de sociologues montrent clairement le déclin de cette transmission familiale de la langue, qui s'est réalisé sur trois générations.
Mais tandis que les Bretons, dans leur majorité, abandonnaient leur langue, privée de toute utilité sociale, la vision qu'ils en avaient a changé. Et aujourd'hui existe parmi eux une volonté forte de la sauvegarder. C'est dans ce contexte qu'a été créé Ofis ar Brezhoneg, l'Office de la Langue Bretonne.
Les plus anciens écrits que nous ayons en breton sont de la fin du VIIIème siècle (manuscrit traitant de médecine conservé à la bibliothèque de Leyde aux Pays-Bas). A la période du vieux-breton succède celle du moyen-breton (du XIIème au XVIIème siècle), puis celle du breton moderne. L'époque charnière entre le moyen-breton et le breton moderne voit l'édition de nombreux dictionnaires et de grammaires. Si elle n'est plus parlée par les élites, la langue bretonne fait néammoins à l'époque l'objet d'études de la part d'intellectuels.
Déjà en 1499 était paru le Catholicon de Jehan Lagadeuc, premier dictionnaire breton-français-latin. Le Père Maunoir, auteur d'une grammaire en 1659, apporte des modifications à l'écriture de la langue en notant systématiquement les mutations et en imaginant la graphie "c'h" pour la différencier du "ch" des emprunts français. Les dictionnaires et les grammaires de Grégoire de Rostrenen ou de Dom Le Pelletier au XVIIIème siècle, puis les travaux de Le Gonidec ou de La Villemarqué au XIXème, donnent peu à peu au breton un standard écrit moderne.
Au XXème siècle le mouvement de standardisation et de modernisation de la langue se poursuit grâce au travail de François Vallée et surtout de Roparz Hemon. La seconde moitié du XXème siècle voit l'éclosion de nombreux ouvrages lexicographiques : le monumental Dictionnaire Historique de la langue bretonne de Roparz Hemon, des dictionnaires bilingues français-breton (les dictionnaires de Le Gléau, Favereau, etc.) ou breton-anglais (de Delaporte), et des travaux terminologiques dans plusieurs domaines spécialisés (anatomie, économie, etc.). A la fin du XXème siècle paraît le premier dictionnaire monolingue de breton, travail collectif, suivi peu après d'un deuxième ouvrage plus fourni, parus tous deux aux éditions
Le breton ayant cessé tôt d'être la langue des élites politiques (le dernier duc brittophone, Hoel de Cornouaille, vécut au XIème siècle), les littérateurs bretons n'ont pu bénéficier de leur appui, comme cela se passait par exemple au Pays de Galles au Moyen-Age. Il y a néammoins certainement eu de tels écrivains, poètes ou bardes, qui utilisaient des techniques élaborées de rimes internes comparables à celles du gallois. On en retrouve la trace dans les mystères médiévaux, pièces en vers à thème souvent religieux. Parmi les plus connus, on peut citer le Dialog etre Arzur Roe d'an Bretounet ha Guynglaff (dialogue entre Arthur roi des Bretons et Gwenc'hlan, 1450) ou le Mirouer de la Mort (composé en 1519).
Il existait sans doute aussi une littérature populaire orale dont nous n'avons connaissance qu'à partir du XIXème siècle, lorsque les premiers collecteurs se mettent en quête de chansons et de contes.
Ce XIXème siècle est notamment illustré par la parution, en 1849, du Barzaz Breiz, recueil de chants populaires collectés par La Villemarqué, ou par l'édition des contes recueillis par F. Luzel. Parallèlement se développent des écrits originaux en breton, comme Emgann Kergidu, qui retrace les combats de la chouannerie dans la région du Leon. Tout au long de cette époque, un ouvrage, plusieurs fois réédité et remanié, exerce son influence sur la population brittophone. Il s'agit de Buhez ar sent, qui retrace pour chaque jour de l'année la "Vie des saints" et en tire une leçon de morale chrétienne. Cet ouvrage, lu et relu, se trouve alors dans presque chaque foyer.
La langue écrite, qui au Moyen-Age était la même dans toute la zone brittophone, prend alors plusieurs formes, variant selon le dialecte que l'auteur cherche à transcrire. L'unification de ces différents standards écrits se fera petit à petit et n'est effective que depuis le milieu du XXème siècle.
Au début du XXème siècle, la littérature retient les noms de Malmanche pour le théatre et de Kalloc'h pour la poésie. Puis la revue Gwalarn, créée en 1925, sera à l'origine d'une littérature bretonne moderne, avec le nouvelliste Jakez Riou ou les romanciers Abeozen et Youenn Drezen. De nouveaux genres, inconnus en breton jusque là, trouvent leur place dans cette revue. Après la deuxième guerre mondiale, la revue littéraire Al Liamm reprend le flambeau de Gwalarn et continue, avec d'autres (Brud, Brud Nevez...), la publication des oeuvres de nouveaux écrivains . Dans la deuxième moitié du XXème siècle, on peut citer le nouvelliste Ronan Huon, le conteur Per Jakez Helias, ou la poétesse Anjela Duval. De nombreuses œuvres sont traduites des littératures étrangères : Soljenytsin, Tolkien, E.A. Poe, Tchekhov…
Depuis la fin du XIXème siècle, plusieurs études ont été réalisées sur le nombre de locuteurs brittophones. Mais elle ne prennent pas toujours les mêmes bases d'études et aucun recensement global de cette population n'a été effectué jusqu'ici. Au début du XXème siècle, on estime le nombre de locuteurs du breton à plus d'un million de personnes, soit la quasi totalité de la population de la Basse-Bretagne. Différents sondages effectués au cours des vingt dernières années montre une diminution constante du nombre de ces locuteurs. La dernière enquête, associée au recensement général de la population de mars 1999, et que l'on peut qualifier d'officielle, a trouvé 263 850 brittophones. Cette enquête confirme ce que disaient les précédentes : le déclin de la transmission familiale de la langue bretonne s'est réalisé sur trois générations, la population brittophone est une population vieillissante, et on estime à environ 10 000 le nombre de locuteurs qui disparaissent chaque année.
Dans les médias, la place de la langue bretonne est limitée. La seule chaine de télévision publique qui propose des émissions en breton, France 3 Ouest, en diffuse moins de cent heures par an, et une chaine de télévision privée, uniquement diffusée par le cable et le satellite, TV Breizh, a récemment revu le nombres de ses émissions en breton à la baisse. Quelques stations de radio locales, indépendantes, diffusent plusieurs heures de breton par jour, mais elles manquent de moyens pour se développer.
Le breton peut être enseigné dans les écoles primaires ou secondaires, comme matière, mais cela ne concerne qu'un faible pourcentage des élèves scolarisés en Bretagne (moins de 2%). Il existe, par ailleurs, un enseignement bilingue français-breton, dans trois réseaux. Les écoles Diwan, créées en 1976, pratiquent l'immersion linguistique. Sous statut associatif, ces écoles scolarisent en breton près de 3 000 élèves (en 2004) de la maternelle au lycée. Deux autres réseaux d'enseignement bilingue appliquent le système de la parité horaire entre le breton et le français, dans l'enseignement public et dans l'enseignement catholique, et scolarisent plusieurs milliers d'enfants. Dans les trois réseaux, la croissance des effectifs est constante d'année en année, mais au total leurs 10 000 élèves (ou presque, en 2004) ne représentent qu'environ 1% des effectifs scolaires en Bretagne.
La langue bretonne n'a pas de statut officiel dans la vie publique, car seul le français est "la langue de la République" selon la Constitution (amendement adopté en 1992). En 1993 le gouvernement français a refusé de signer la Charte Européenne des Langues Régionales ou Minoritaires en raison de cet article de la Constitution. Et si cette Charte a été signée depuis, en 1999, elle n'est toujours pas ratifiée, car elle a été jugé contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel, la plus haute autorité française en la matière. L'utilisation de la langue bretonne, tant dans les organismes officiels que dans les relations sociales ou commerciales, n'est pas aujourd'hui reconnue par la loi française, même si une tolérance plus ou moins grande fait qu'il existe, par exemple, des panneaux de signalisation routière bilingues français-breton. Cette absence de statut légal et officiel handicape gravement l'avenir du breton.