Dans la vieille cité déchue, qui fut au Moyen Age une forteresse souvent assiégée par les Anglais et qui reçut ensuite la visite des Espagnols, il y a eu, de temps immémorial, comme deux populations distinctes : l'une, de moeurs sédentaires; l'autre, chaque jour poussée audehors. Suivant une désignation populaire, celle-ci ne serait autre chose qu'une colonie; les indigènes se seraient donc maintenus sur les hauteurs. La 'colonie rochoise ' se livre particulièrement à l'industrie des chiffons.
Le pillaouer et plus souvent, stouper, à La Roche passe les trois quarts de son existence à battre la campagne, autour des fermes; il part au petit jour, et il ne rentre que le bissac plein, bourré de fumier ou de pommes de terre, si les chiffons ont fait défaut : ce fumier, ramassé sur la route, appartenait à tout le monde et au premier venu; mais ces pommes de terre ont été généralement tirées de quelque champ, sans l'avis du maître : d'où l'on conclut que le stouper ne jouit pas d'une réputation sans tache. S'il est pris en faute, il réplique qu'il ne peut pas se résigner à mourir de faim.
Au demeurant, courageux, serviable, redouté quelquefois, rarement détesté, prêtant au paysan volontiers de quoi rire sur son compte, parce qu'il s'attend bien à trouver l'occasion de prendre sa revanche. Ces nomades ont une vie laborieuse. Il en est peu qui ne vivent que d'aumônes et qui se désintéressent de la lutte pour l'existence.
Ils sont sortis de la ville, dès le point du jour. Le stouper suit sa même route quotidienne, portant de la poterie, en hiver, des écuelles et des plats; l'été, ce sont des fruits, des cerises surtout : en échange il rapportera les étoupes, les chiffons ou la ferraille, tout ce qu'on aura mis de côté 'dans les maisons de ferme. Ses visites ne s'étendent pas au delà d'une paroisse ou deux. Dans les bourgs on voit arriver chaque matin et le soir repasser le même quémandeur. Comme il ramasse autant de nouvelles que de chiffons, en courant le pays, on le retient souvent, lorsqu'il est l'heure du repas.