Près d'Avessac, il y a très longtemps, vivaient des fées. Les gens du pays les appelaient les "bonnes donnes".
Fées et gens vivaient en bon entendement. Le jour était le domaine des humains, mais dès que la brune arrivait celui des fées s'avançait. Les lavandières pouvaient abandonner du linge sale le soir près du lavoir, les fées le lavait au clair de lune. Au matin, linon, batiste, draps et toiles, tous propres, séchaient étalés au soleil.
Un enfant pleurait-il la nuit? les fées descendaient par la cheminée, ranimaient les braises, faisaient chauffer du lait et cuisaient la bouillie. L'enfant contenté se rendormait et les fées repartaient par le même chemin.
Au creux des masures, elles connaissaient les misères, elles déposaient alors un morceau de pain bis qui ne raccourcissait jamais. Ainsi, même en coupant des tartines tous les matins, la huche était pleine, même si la famille s'agrandissait.
Les fées connaissaient aussi le secret des plantes, elles soignaient et pansaient gens et bêtes avec les sirops, potions, tisanes, philtres et onguents qu'elles concoctaient. Il suffisait de les en prier pour qu'elles soulagent.
Les bonnes gens ne restaient pas ingrats et quelques galettes , pain beurré, lait ribot ou même part de gâteau les jours de fête rendaient aux "bonnes donnes" leurs bontés.
Un petit berger rêvait-il à quelques douceurs? Quelques mots jolis murmurés en supplique et l'objet convoité attendait son réveil.
Un paysan nécessiteux avait-il besoin d'animaux de traits pour cultiver son champ, que les fées lui prêtaient de gros bœufs ; mais, une condition était mise, qu'il ne traça pas un seul sillon du coucher au lever du soleil, les bêtes en mourraient. Et cela les fées ne pouvaient le supporter et de bonnes elles en devenaient méchantes.
Et cela arriva une fois!
Un laboureur ayant voulu à tout prix finir de labourer sa parcelle, laissa passer l'heure du crépuscule, toute une génération de villageois passa avant que le fil avec les fées ne se renoua.
Mais à l'époque où nous parlons, point de problème avec les fées, tout était pour le mieux dans le meilleur des Avessac. Elles ne faisaient pas la fortune des gens mais leur permettaient chaque jour de pouvoir apprécier à sa juste mesure, superflu et nécessaire, plaisirs donnés et bienfaits reçus.
Les fées avaient leur monde propre, il côtoyait celui des humains, mais ne s'y mêlait jamais. Les fées aimaient par-dessus tout danser chanter et faire de la musique, leurs longs cheveux blonds dansant dans le vent. Les soirs d'insomnie les villageois les entendaient bien, mais, chacun restait dans son monde, et ainsi Avessac vivait en harmonie avec ses "bonnes donnes".
Mais il en était un des villageois, acariâtre, célibataire (et pour cause!) qui ne cessait de maugréer, les fées faisant trop de bruit la nuit selon lui.
Un soir, il décida de jouer les trouble-fête et d'empêcher leur bal. Lorsqu'il entra dans leur ronde, les fées l'entourèrent à petits pas et se moquèrent gentiment de lui. Mais plus elles riaient, et plus il devenait odieux, les insultant.
De bonne composition devant tant de haine, elles l'invitèrent à entrer dans la danse mais nu-pieds, afin de se racheter de ses goujateries.
Mais lui n'en fit rien et continua de plus belle à les bousculer et les insulter.
De guerre lasse, devant tant de mauvaise volonté, les "bonnes donnes" le jetèrent pieds et poings liés sur la place du village.
Et depuis ce jour on ne les revit plus à Avessac...
L'année suivante, chardons et orties furent la récolte dans les champs, la pluie se mit à tomber en abondance, le soleil se fit rare. Les bêtes dépérirent et il se fit une grande disette.
Hélas! les fées n'étaient plus là pour panser et soigner.
Longtemps, très longtemps, on se souvint avec regret du temps des "bonnes donnes"!
Que sont-elles devenues? Quand donc reviendront-elles? D'aucuns, qui en savent plus long que d'autres, prétendent qu'un siècle au chiffre pair, serait plus favorable, et qu'elles reviendraient alors auprès de nous si on les en priait.